CERCLE AMICAL DU BERRY
CERCLE AMICAL DU BERRY
Les Berrichons de Paris
Notice
En 2019 déjà, Zemag avait rendu compte de l’exposition de Joël Frémiot à L’Artboretum d’Argenton-sur-Creuse ; et ses poèmes visuels imprimés sur bâches rétroéclairées sont toujours visibles sur vingt-deux baies du Prieuré de Saint-Benoît-du-Sault (36170). Chacun a encore en mémoire l’exposition de 2017 au Musée de l’Hospice Saint-Roch à Issoudun et celle de 2016 au Musée Bertrand ...
Loin
du bruit et de la fureur.
La peinture de Joël Frémiot se tait. S’est toujours tue. Le peintre Joël Frémiot se tait. S’est toujours tu. Contrairement à tant d’autres artistes trop diserts, qui semblent nepas faire confiance à leurs oeuvres, ou qui se défient des regardeurs, en s’engageant, eux ou leurs porte-voix, dans d’interminables justifications ou dans d’alambiqués éclaircissements pédagogiques.
S’obstiner
à se creuser les méninges.
Plus souvent, c’est le spectateur qui ne se contente pas de ce qu’il a sous les yeux et qui doute de son propre regard : il cherche, et c’est tout à son honneur, à décrypter un supposé message. Soit il s’entête à vouloir comprendre, convaincu qu’il n’existe qu’une seule interprétation valable et qu’il la lui faut découvrir. Soit il se fie à ses sensations, sentiments, émotions, bref s’abandonne à son ressenti qu’il estime un peu naïvement universellement partagé.
Apprivoiser
et s’approprier l’œuvre.
Et pourquoi ne pas risquer un échange silencieux avec l’œuvre peinte, s’il enrichit le regardeur, à condition de ne pas l’ériger en vérité absolue et définitive ? Alors, pourquoi le regardeur ne se prêterait-il pas un instant à ce jeu sans rime ni raison et ne se hasarderait-il pas, parmi une infinité de fictions possibles, à l’invention d’une historia, à une lecture entre les lignes ? Et si, dans la symbolique des formes géométriques, « le carré émet », que pourrait donc bien émettre ce quadrilatère ?
Varier
supportset formats sans se désavouer.
Car,
succédant aux grandes toiles libres, aux supports en bois, aux ardoises, aux
pavés, aux plaques de polypropylène découpées … ; succédant aux polygones
de formats divers, souvent de guingois, voici de retourla rigidité du châssis,
la tension de la toile, le carcan des clous et des agrafes, l’incarcération
sous la contrainte angulaire anguleuse d’une géométrie à la rigueur quasiment
ascétique. Quelles que soient leurs dimensions, carrées ou rectangulaires,
puisque le carré n’est somme toute qu’un rectangle particulier ; ou le
rectangle qu’un carré étiré.
Les peintures
en carreloche de Joël Frémiot le
savent bien : le carré entrave la composition. Nulle perspective de
fuite. Alors il leur faut s’inventer une aire graphique fallacieuse : pour
l’étendre, délimiter de temps à autre une marge dans l’optique de créer un
pseudo-rectangle. Comme coudre une bande. Mettre une pièce. Mais, loin
d’ajouter, de rallonger, la marge menteuse retranche et souvent tend à reformer
un carré. Piètre essai insensé de contrecarrer l’inattaquable carré et sa
massivité. Ou alors tracer une oblique, dynamique et ascensionnelle, jamais une
diagonale, afin de déséquilibrer le carré, d’architecturer la surface, de
s’approprier, même bancroche, un pré carré qui n’en est pas un. Leurre.
Les motifs de
Joël Frémiot l’ont bien compris :
la marge est une béquille l’oblique un étai. C’est pourquoi ils les longent,
s’y adossent, s’y tapissent. Pour un semblant d’aplomb. Pour ne plus clopiner.
Pour ne pas s’effondrer. Cramponnés, ils y gravent leurs graffitis. Ils se
ternissent, presque imperceptibles, ou se colorent sans vraiment se mettre en
avant, sans jurer. Et ce n’est pas anodin si le tableau se peint à plat, comme
s’il s’écrivait, puis, achevé ou presque, se redresse contre le mur de
l’atelier.
Non pas un, mais des noirs.
Noir de Mars,
noir d’ivoire, gris de Payne. Noir parfois brillant, parfois éteint. Noir parfois lisse, sans prise ; parfois pâte calleuse,
boursouflée, aux aspérités rugueuses comme une râpe. Ces aplats noirs, faux
monochromes, cèlent quelque chose, engloutissent on ne sait plus quoi,
absorbent tout. Noir pendard. Quelquefois au contraire, c’est un noir remué,
creusé. Les traces chromatiques, directement issues du tube sur le noir,
marginent ; quêtent une improbable fissure, une issue aléatoire. Mais c’est
un mur orbe. Une impasse. Un cul-de-sac. Un cul-de- basse-fosse.
Non pas une, mais des couches.
Ou,
cherchant, ailleurs, à gagner sur le subjectile écru, s’y déposant, s’y
accrochant, tantôt le pénétrant, tantôt s’y dérobant, le fusain dessine un
étrange polygone flottant.Mais cela ne fait aucun
doute : avant, il y a eu là de la peinture, une première occupante qui
a été escamotée. L’application d’une couche de pastel l’a recouverte,
garantissant l’effacement de tout indice de cette présence antérieure. Par
précaution redoublée, le fixatif est venu à la rescousse renforcer le
camouflage. Ce n’était manifestement pas suffisant encore : alors, afin de
prohiber toute récidive, le fusain, aussitôt fixé par sécurité, en a remis une
couche.
Comme un désir de blanc.
Quelques
bavures, et même quelques franges de peinture et de pastel ont finement
exploité les défaillances, les failles du fusain, là où il était le plus
vulnérable, là où le fixatif l’avait soufflé, pulvérisé, souvent à la
périphérie
Et
après coup, la main compatissante du peintre, par repentir peut-être, a
délicatement poncé l’intérieur de l’enclave fusinée pour faire parfois
affleurer ici ou là une bribe de l’ancienne peinture ou un vestige du pastel.Un
noir en attente d’un blanc. Subsistent toujours, en apparence sans attaches,
mais pourtant toujours attenantes à l’un des côtés, ces formes trapézoïdales
irrégulières qui se cognent la tête contre les quatre angles droits. Comme
quatre carrés-barrés.
Clair-obscur
à jamais inachevé. Plutôt une pénombre. Entre chien pas noir et loup pas blanc.
Entre le grain beige d’une toile écrue non enduite et le voile obombré d’un
fusain.
La
peinture aujourd’hui est marginalisée. Joël
Frémiot sait et admet cette marginalisation. Il la revendique même. Sans
tabou — il y a de la marge — sans faire table rase, loin de là, il accepte
cette marge, la fait sienne et la rend ostensiblement visible. Cultivant cet
écart, il peint et vit en marge.